L'année 2022 voit un retour en force de l'inflation après des années de modération. Cela pourrait impacter les locataires. Alors que le logement constitue désormais le premier poste budgétaire des particuliers, des voies en faveur d'un encadrement ou d'un gel des loyers des logements se font d'ailleurs entendre. Du côté de l'immobilier commercial, la tendance est en partie similaire. Les locataires exploitant des commerces, déjà souvent confrontés à la concurrence de l'e-commerce, ont été durement impactés par la crise sanitaire de la Covid-19. À la clé : une accélération et une sur-performance des canaux de vente en ligne, de nouvelles habitudes de consommation et par ailleurs des épisodes de confinement qui ont lourdement impacté l'activité. Malgré les mesures d'aide et l'épargne accumulée par les Français - qui ont permis de soutenir jusqu'ici la consommation - le retour de l'inflation et la hausse des coûts menacent dorénavant le pouvoir d'achat et les marges des commerçants. Dans ce contexte, des appels à la modération des loyers commerciaux ont poussé le gouvernement à une réforme récente de mars 2022 du mode de calcul de l'indice de revalorisation des loyers commerciaux. Retour sur les mécanismes qui encadrent les baux commerciaux.
La crise majeure de la Covid-19, a sans doute joué un rôle de catalyseur des défis auxquelles sont confrontés de nombreux commerçants. Si bailleurs et locataires ont pu franchir tant bien que mal le cap de cette crise, la situation reste tout de même souvent tendue. Les mesures de soutien de l'Etat (subventions, PGE...), les moratoires ou échéanciers accordés par certains bailleurs ont souvent permis de geler la situation.
Cependant, l'accélération de l'activité liée à l'e-commerce, avec parfois de nouvelles habitudes de consommation, les défis posés par la situation sanitaire en Chine et la guerre en Ukraine, posent de nouvelles contraintes en termes de coûts et d'approvisionnement. Que ce soit pour les matières premières, les produits finis ou la facture énergétique. De fait, de multiples commerces sont confrontés à des baisses de fréquentation. Selon la fédération Procos (300 enseignes et 60 000 points de ventes), en 2021 le chiffre d’affaires global des enseignes a baissé de 4,6% vs. leur niveau d’avant crise de 2019. Si l’on exclut l’impact de l'e-commerce, le chiffre d’affaires en magasin seulement a même reculé de -8,7%... Seul le bricolage et équipements de la maison semble s’en sortir positivement. En cause ainsi, plusieurs facteurs :
Côté investisseurs, les grands projets d’immobilier commercial ne semblent plus avoir le vent en poupe avec une baisse drastique du stock de projets. Ces derniers portant par ailleurs sur des surfaces plus petites (cf. la lutte contre l’artificialisation des sols qui a mis un frein à de nombreux projets). L’investissement dans les commerces aura été en 2021 inférieur de 17% à 2020 et de 36% à la moyenne sur 10 ans.
Dans ce contexte, la recherche de nouvelles stratégies « multicanal » mais également d'un niveau de loyer adéquat sont devenus des enjeux majeurs pour de nombreux exploitants locataires.
Avec le retour de l’inflation, après plusieurs années de relative stagnation des indices, les locataires (7 millions de ménages en France) pourraient légitimement s’inquiéter d’une perspective de hausse des loyers. Pour rappel, dans le domaine du logement, les loyers peuvent être révisés annuellement via une clause au bail selon l’indice de révision des loyers (IRL) publié par l’INSEE (exprimant l’évolution des prix hors tabac et loyers). Alors que le pouvoir d’achat subit de fortes pressions, la solvabilité des locataires pourrait-être affectés. À la suite des mesures de plafonnement adoptées en "zone tendue" dans plusieurs métropoles (Paris, Bordeaux, Lille, Montpellier…), certains réclament désormais un gel temporaire des loyers. Équilibre difficile à établir : si les propriétaires de longue date ont pu profiter à plein de la hausse de l’immobilier, les rendements locatifs se sont effondrés. Dans un contexte de hausse des taux d’intérêt, pénaliser l’offre et l’investissement pourrait avoir un aspect contreproductif.
Pour rappel historique, en 1982, les loyers d’habitation avaient été plafonné par l’ICC (Indice des Coûts de Construction) puis par L’IRL en 2005 via Dominique de Villepin : il s’agissait d’un indice composite formé de l'indice des prix à la consommation (hors tabac et loyers), du prix des travaux d'entretien et d'amélioration des logements et de l'ICC. Avec la crise des « subprimes » et au nom du pouvoir d'achat, l’IRL s'était recentrée uniquement sur l’indice des prix à la consommation. Résultat : alors que l’ICC a augmenté depuis lors de 38,5%, l’IRL a diminué de 3,5%. Si cela a largement profité aux locataires, les rendements locatifs ont fortement chuté.
Le retour de l’inflation risque-t-il de mettre fin à cette modération des loyers ? Une exclusion des prix de l’énergie pourrait-elle être une piste pour modérer les hausses futures ?
Concernant les baux commerciaux, différents indices : ILC (Indice de Loyers Commerciaux) ou l’ILAT (Indice des loyers des activités tertiaires) peuvent généralement encadrer les réévaluations périodiques (hors renouvellement qui obéissent à des règles spécifiques et peuvent faire éventuellement l’objet d’expertises).
Les baux commerciaux obéissent à certaines règles spécifiques - différentes de celles applicables aux locaux d'habitation - que ce soit pour la fixation des loyers ou pour les réévaluations et le renouvellement.
La règle générale est que lors de la conclusion du contrat de bail commercial, le prix du loyer est fixé librement par les parties (avec moins de contraintes que pour l'habitation). A priori, on va tenir compte de la valeur locative des locaux (souvent forfaitairement sans référence à la surface louée) avec différents éléments entrant en jeu :
In fine, on pourra notamment se référer au prix constaté pour des locaux similaires dans la même zone. Par ailleurs, pour que cela reste une charge acceptable et supportable par le locataire, il est conseillé a priori de respecter un taux d’effort – c’est-à-dire un ratio en entre le loyer charges comprises et le chiffres d’affaires prévisionnel – cohérent avec les normes observées. Ceci pour permettre une certaine pérennité de l’activité (moins de 10% pour un restaurant, environ 5% pour une boulangerie, pas plus de 25% pour un hôtel…). Parfois – c’est souvent le cas pour des commerces de centre-ville ou dans des centres commerciaux – le loyer peut être exprimé directement en pourcentage du chiffre d’affaires du locataire, avec un minimum.
En cours de bail, il existe deux façons principales de prévoir une révision de loyer :
Dans le cas de la révision triennale, le montant du loyer peut être révisé au bout de trois ans minimum (et par période de 3 ans) à la demande du bailleur ou du locataire. Elle ne peut pas excéder la variation de l’indice trimestriel de référence. Le loyer peut être révisé à échéances déterminées de manière automatique sur la base de deux indices officiels publiés par l’INSEE trimestriellement :
À noter que depuis la loi Pinel de 2014, il n’est plus possible de se référer en base triennale à l’ICC (Indice du Coût de la Construction). Il est cependant possible de faire référence à l'ICC dans le cadre d'une "clause d'échelle mobile".
La révision peut se faire à la baisse comme à la hausse. En cas d'oubli, le bailleur peut revenir rétrospectivement 5 ans en arrière. À noter qu’une clause d’indexation prime sur la règle de l’indexation triennale.
Par ailleurs, par un mécanisme de lissage concernant les contrats conclus ou renouvelés depuis septembre 2014, la variation de loyer ne peut conduire à une augmentation supérieure - pour une année - à 10 % du loyer payé au cours de l'année précédente (L145-34 alinéa 4 du code de commerce). Cela s’applique de droit et ne peut pas faire l’objet de dérogation.
Le bailleur peut – dans certains cas - demander un déplafonnement du loyer. Dans ce cas, le loyer du bail en cours – ou renouvelé – pourra excéder la variation de l'indice de référence :
Lors du renouvellement du bail, le bailleur peut proposer d'augmenter le montant du loyer du bail commercial. En cas de renouvellement, mais de désaccord sur le nouveau montant, il est possible de saisir la Commission départementale de conciliation des baux commerciaux, ou par la suite le Tribunal judiciaire le cas échéant.
Le loyer renouvelé doit correspondre à la valeur locative des locaux, mais en tenant compte d’un plafonnement lié aux indices de références.
Là encore, les montants peuvent être déplafonnés lorsque :
Il y a aussi possibilité de déplafonnement du loyer commercial, lorsque le bail commercial renouvelé avait une échéance supérieure à 9 ans (ou qu’il fait l’objet d’un renouvellement d’une durée supérieure à 9 ans).
Le renouvellement des loyers est un point important pour les commerçants. En effet, dans certains cas (restaurant, boutique de souvenirs par exemple) le fond de commerce peut être lié étroitement à la localisation des locaux et devoir déménager et résilier le bail peut-être alors préjudiciable. Le cas s’était par exemple posé de manière assez médiatique pour le bail du McDonald’s situé sur les Champs-Élysées.
Désormais, c'est l’ILC qui s’applique pour les commerces et la formule de calcul sera la suivante : loyer en cours x (indice du trimestre de la révision/ indice de référence en vigueur au jour de sa fixation initiale). Et ainsi de suite à chaque période de revalorisation en prenant pour dénominateur l’indice en vigueur à la précédente révision. La référence aux indices est facile et transparente, car l’INSEE prend en charge leur calcul et leur diffusion chaque trimestre :
Depuis la loi Pinel de 2014, l’ILC (pour les activités commerciales ou artisanales) ou l’ILA font foi au détriment de l’ICC.
Créé par la loi du 4 août 2008, l’ILC – base 100 au 1er trimestre 2008 - visait à permettre une révision du loyer plus favorable aux locataires. Face à un indice ICC (Coût de la construction) qui augmentait rapidement en décorrélation avec la valeur locative. Il concerne les locataires commerçants inscrits au RCS let les artisans enregistrés au répertoire des métiers (RM).
Jusqu’à la réforme récente de 2022, l’ILC correspondait à un mix de 3 indices pondérés (qui sont eux même des moyennes glissantes d’indices) :
L’indice des loyers des activités tertiaires (ILAT) – base 100 1er trimestre 2010 -concerne les activités tertiaires, il couvre depuis 2011 les lacunes de l’ILC qui ne couvrait pas certains secteurs.
L’ILAT est également constitué par la somme pondérée d’indices représentatifs du niveau des prix à la consommation, de celui des prix de la construction neuve et de celui du produit intérieur brut en valeur. Plus précisément, L’ILAT se compose à :
L’ICC était précédemment la principale référence pour les indexations de loyer. Désormais, il reste une donnée importante parmi d’autres. Il n’est plus possible d’y faire référence pour les révisions triennales.
En revanche, l’ICC peut être intégré (comme d’autres indices au choix des signataires) dans une « clause d’échelle mobile » contractuelle pour l’indexation. Cependant, l’indice choisi doit avoir un lien avec l’activité des signataires…
L’ICC est aussi calculé trimestriellement par l’INSEE et publié au journal officiel. Sa valeur est fondée sur une base 100 au 4ᵉ trimestre 1953. Il mesure l’évolution du prix de production des bâtiments neufs à usage d’habitation en France (il exclut des éléments tels que le prix des terrains).
Conformément au décret n°2022-357 du 14 mars 2022, à compter du 4ᵉ trimestre 2021, le calcul de l’ILC exclu à présent la composante « chiffres d’affaires du commerce de détail ». Soit désormais la formule suivante :
Cette réforme vise à modérer l’évolution à la hausse de l’ILC dans un contexte déjà compliqué pour de nombreux commerçants. En effet, la composante chiffre d’affaire incluait les ventes de l’e-commerce en forte hausse (+100% entre 2014 et 2021), secteur qui par ailleurs constituait une source de concurrence directe pour les commerces physique. Soit une double peine pour les locataires tributaires de l’ILC…
Il n’y a sans doute pas de solution parfaite pour garantir un « juste loyer » aux locataires, et une rémunération adéquate et suffisante aux bailleurs. Du fait de la dernière réforme, les commerçants concernés par l’ILC devrait faire face à une hausse de +3% au lieu de 5%.
Sur le long terme et de manière pragmatique, les bailleurs doivent contribuer à maintenir la solvabilité de leurs locataires. La crise de la Covid-19 et les fermetures administratives ont d’ailleurs incité de nombreux de bailleurs à consentir temporairement des moratoires ou des remises pour ne pas perdre leur locataire.
In fine, le loyer - pour être supportable -ne peut durablement s’écarter de l’évolution de l’activité réelle et de la « valeur locative » des locaux. La prise en compte de la composante « internet » allait sans doute à l’inverse de la tendance générale de l’activité.
Parmi les autres réformes envisagées : la mensualisation des loyers (qui permettrait aux locataires de laisser 2 mois en garantie au lieu de l’équivalent de deux trimestres).
Il n'existe cependant certainement pas d'indexation parfaite : ainsi tel indice de référence plus favorable aux locataires à l'instant "t" peut par la suite évoluer défavorablement du fait de la conjoncture.
Au quatrième trimestre 2021, l’indice des loyers commerciaux s'est établi à 118,59. Sur un an, il a augmenté de 2,42 % (après +3,46 % au trimestre précédent).
Publication originale de le 30 May 2022 mise à jour le 18 July 2022