Crowdfunding 15 November 2018

Crowdlending en France : Approche quantitative du rendement brut / net

Crowdlending en France : analyse d'une approche quantitative du rendement brut et net

En cette fin d’année 2018, l’environnement peut sembler incertain : malgré une accalmie récente la guerre commerciale Chine/USA fait rage, les échéances politiques et leurs nouveaux défis se multiplient dans le monde et en Europe. Sur le plan économique, les conditions d’une réelle reprise, le mouvement de hausse des taux soulèvent de nombreuses questions. Le secteur du crowdlending a connu également une année riche en événements avec de nouvelles alliances, la disparition d’acteurs historiques. Contexte dans lequel WeShareBonds a enregistré de loin la plus forte progression du marché. Dans cet environnement mouvant, prenons le temps de faire un focus sur les fondamentaux du calcul de la performance et du placement en crédit.


Les fondamentaux du rendement

Au jour de cet article, WeShareBonds a financé 11,5 M€ dans 31 opportunités d’investissements pour une rémunération moyenne de 6,7% (et connu à date un unique défaut, représentant seulement 1,5% de l’encours). Revenons sur la rémunération perçue par les préteurs et les facteurs clés :

  • Le taux brut: il conditionne les coupons d’intérêts payés par la PME emprunteuse. Versés suivant le calendrier prévu par l’échéancier du contrat de prêt, ils sont calculés sur la base du capital restant dû. La fixation de ce taux dépend de plusieurs éléments :
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  • Le taux de défaut : il représente la part des échéances qui ne seront a priori pas honorées par les émetteurs aux prêteurs (sauf recouvrement éventuel) :
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  • Le taux net: ce taux représente la performance réelle des prêteurs. Elle part du flux brut duquel sont défalqués plusieurs éléments :
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  • Le TRI (Taux de Rendement Interne) ou « IRR »: il représente la performance réelle rapportée à la période réelle de placement des fonds
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Outre le taux du coupon et les défauts constatés, la performance réelle pourrait théoriquement varier en fonction de la valorisation finale du sous-jacent, s’il était cédé sur un marché « secondaire ». L’hypothèse du « crowdlending » est que les prêts sont conservés jusqu’à échéance et remboursés à leur valeur d’origine suivant l’échéancier. Si ces créances étaient cédées en cours de route sur un marché secondaire, leur valeur « faciale » – à perception du risque égal – dépendrait de l’évolution des niveaux de taux du marché depuis la souscription de la créance. Ainsi si les taux de marché ont baissé sur la période, la créance vaudra en théorie plus que la valeur résiduelle (car le taux d’actualisation, ou diviseur, utilisé pour actualiser la valeur des flux futurs à recevoir, aura diminué) et inversement. Cela a, cependant, un réel impact sur les prêts à échéances longues et in fine, et suppose l’existence d’un marché secondaire…

Peut-on raisonnablement prévoir et anticiper la performance du crowdlending ?

Par définition, tout investissement non garanti présente un risque. Si l’on se focalise sur la performance d’un portefeuille, la première approche sera de fixer la rémunération brute visée. Pour que cet objectif de performance se réalise, la condition nécessaire sera de minimiser le taux de défaut.

En diversifiant le portefeuille, on pourra se rapprocher d’une dimension statistique dans la prise en considération du risque : plus l’on a de lignes investies, plus le taux de défaut sera normatif. Certes, la multiplication des lignes augmente la probabilité de survenance d’un défaut mais celui-ci ne représentera qu’une part réduite du montant investi (voir notre article Diversifier son épargne, des multiples avantages ).

La deuxième condition est que les composantes du portefeuille ont été « pricées» de manière correcte, de telle sorte que le couple risque/rendement soit cohérent.

Pour cela, la mesure du risque dépendra de plusieurs éléments :

  • Eléments intrinsèques : les chiffres financiers, le profil du dirigeant… Afin d’être probants, ils doivent porter sur des éléments significatifs (historique disponible, chiffre d’affaire minimum atteint…) et récents ;
  • Eléments externes : les données liées à une vision macro-économique, les éléments statistiques et quantitatifs.

Ainsi chez WeShareBonds, partenaire de La Banque Postale, outre l’analyse des données fournies directement par l’entreprise (business-plan, données comptables…), nous cherchons à la resituer dans son marché de prédilection, et par ailleurs à la rattacher à une classe de risque. Une des raisons pour ne pas financer les TPE qui n’offrent pas assez de visibilité, est aussi de pouvoir intégrer à notre analyse la notation Banque de France.

La notation Banque de France (ou fichier Fiben : Fichier Bancaire des Entreprises) est une notation (voir notre article sur la cotation banque de France) attachée à chaque entreprise en revue rentrant dans l’échantillon (chiffre d’affaires > 750k€, publiant des comptes) sur la base d’une multiplicité de critères et de données notamment financières et commerciales: « Créée en 1982 pour la mise en œuvre de la politique monétaire, la banque de données FIBEN est également utilisée pour l’analyse des risques de crédit. Elle permet notamment d’apprécier la qualité d’un portefeuille de crédits, de détecter les financements les plus risqués. »

Chiffres clés de la base Fiben dans la Banque de France Nombre d'entreprise par note de la Banque de France

La notation attachée, à chaque entreprise est semi-confidentielle (disponible pour les établissements de crédit) mais peut-être obtenue et communiquée par l’entreprise à sa demande. La note qui va de 3++ à 9 permet d’analyser un large échantillon de sociétés commerciales en fournissant une analyse ex-post sur la probabilité de défaut à 1 an, 2 ans ou 3 ans en fonction du groupe d’appartenance.

Ainsi pour l’analyse au titre de 2017 l’on va s’intéresser à fin 2017 à

  • Echantillon d’une note début 2017 ayant fait défaut/défaillance dans l’année (probabilité à un an) ;
  • Echantillon d’une note début 2016 ayant fait défaut/défaillance depuis (probabilité à 2 ans) ;
  • Echantillon d’une note début 2015 ayant fait défaut/défaillance depuis (probabilité à 3 ans).

Selon la définition de la banque de France, les « taux de défaillance correspondent à l’ouverture d’une procédure judiciaire (redressement ou liquidation) et le « taux de défaut »: qui correspond à un cas de défaillance ou l’attribution d’une note 9 en raison d’incidents de paiements importants déclarés par un ou plusieurs établissements de crédit ».

La question suivante est dés-lors :

  • Les probabilités d’incident à horizon 1/2/3 ans pour une cotation donnée sont-ils stables dans le temps ?,
  • Quelle est la probabilité qu’une entreprise change de classe d’année en année ?.

Les tables de taux de défaillance (ou défaut) à 1/2/3 ans ainsi que la table de transition d’un an des entreprises (évolution de notation dans l’année) montrent de fait une remarquable stabilité.

Tableau représentant le taux de défaillance à 1 an des entreprises, données Banque de France Tableau représentant le taux de défaillance à 3 des entreprises, données Banque de France Matrice de transition à l'horizon d'un an des entreprises cotées au 1er janvier 2017

La « diagonale » permet de suivre les entreprises dont le rating est inchangé sur un an. La notion de « tridiagonale » permet de mesurer l’évolution incluant également une évolution d’un cran supérieur ou inférieur. Par exemple : 91% des société « 3 » sont restées dans les bornes mitoyennes.

Tableau représentant la probalitié de variation de la notation de la Banque de France à horizon de 1 an

Une vision pluriannuelle (toutes notes confondues) permet de montrer que les notes évoluent peu d’une année sur l’autre, quelque soit la période considérée.

Tableau faisant la comparaison des transitions de la note entre 2012 et 2017

Ainsi que le relève la Banque de France, la probabilité d’une évolution rapide pour les catégories autour d’un axe médian (« 4 ») est rare :  « la proportion d’entreprises rattachées aux meilleures cotes (3++, 3+ et 3) et recevant un an plus tard une cote de crédit moins favorable que 4 reste très faible, à 1,8 % au 31 décembre 2017. Symétriquement, 1,6 % des entreprises situées dans les classes de risque les moins favorables (cote inférieure ou égale à 5+) reçoivent, un an plus tard, une cote égale ou meilleure que 4 ».

Au global l’utilisation de la notation Banque de France donne, entre autres critères, une bonne appréciation de la probabilité de défaut dans une vision moyen-terme, et un outil de pricing en conséquence.

Il est à noter que la probabilité de défaut croit de manière exponentielle avec la dégradation de la note attribuée. Ainsi, en se focalisant sur les notations intermédiaires (3 à 5). Ce qui correspond à des taux de défaillance statistiques respectifs à 1 an de 0,05% à 4,14% et à 3 ans de 0,47% à 10,68%. Il est possible de se projeter sur des scénarios relativement conservateurs, tout en s’adressant à une population de PME potentiellement réceptives aux financements alternatifs. Etant entendu coté prêteur, que dans une optique de prêt amortissable (d’une durée moyenne de 36 mois), un défaut intervenant la troisième année ne porterait au pire que sur le tiers résiduel de la créance.

Explication du niveau  de risque en fonction des notes de la Banque de France

Cette stratégie pourra être modulée en fonction de biais sectoriels (plus ou moins sensibles à un changement de conjoncture), de la taille de l’entreprise, ou de l’ancienneté de la société (les populations les plus « fragiles » étant les jeunes sociétés de moins de 4 ans ou à l’inverse de plus de 10 ans).

Quel enseignement pour une gestion dynamique ?

Le premier point est de rattacher la recherche d’un rendement absolu à un niveau de risque donné. Tout miser sur l’obligation la plus rémunératrice (a priori la plus risquée) peut se révéler gagnant mais dangereux d’où la nécessité de diversifier son portefeuille en arbitrant entre niveau de taux et risque.

D’autres règles permettrons d’avoir une gestion équilibrée et cohérente:

  • Intégrer ses propres anticipations : par exemple si l’on anticipe une hausse des taux, privilégier des maturités courtes ou amortissables ;
  • Investir régulièrement afin de ne pas subir trop fortement les changements de conjoncture ;
  • Eviter les secteurs ou les entreprises que l’on ne comprend pas, ou dans lesquels on ne croit pas ;
  • Dans les arbitrages risque/rendement, prendre en compte le phénomène de « flight to quality » pour déterminer quelle prime de risque est acceptable : en période de turbulence, les projets les plus risqués risquent d’être doublement impactés. Les projets les moins risqués seront sans doute plus résilients et auront plus de chance de traverser la crise.

Le crowdfunding par ses caractéristiques (ergonomie, absence de frais de transaction…), permet une gestion dynamique, à chacun d’en profiter pour mettre en place sa propre stratégie !

Publication originale de le 15 November 2018 mise à jour le 09 November 2021