L’année 2023 écoulée restera sans doute comme l’une des pires années pour le secteur immobilier : conjoncture complexe avec accentuation de nombreux déséquilibres structurels. Baisse sur tous les fronts : que ce soit au niveau des volumes de transaction, de constructions ou des prix. L’accès au crédit a également été impacté, avec des volumes en berne et un contexte de hausse de taux inédit. Le “neuf” comme “l’ancien” ont été touchés, et rares sont les quelques niches (le luxe par exemple) qui ont pu maintenir la tête hors de l’eau. Cependant, l’immobilier est aussi une question de cycles, et l’on partait de niveaux historiquement élevés ces dernières années. Si la situation reste difficile - de même que l’hécatombe promise par le Covid-19 qui n’avait pas vraiment eu lieu - l’année 2024, pourrait-elle marquer un rebond après qu’une sorte de point bas aurait été atteint ? Essayons de faire le point sur les perspectives.
L’année 2022 avait vu les prémices de difficultés pour le secteur immobilier, après le rebond post Covid. Les Cassandre de 2023 n’auront pas été déçus : retour de l’inflation et augmentation importante des coûts de l’énergie, entrée en vigueur de premières mesures politiques liées aux objectifs climatiques (DPE, objectif Zéro Artificialisation des Sols), maintien d’un contexte international tendu (poursuite de la guerre en Ukraine, situation au Moyen-Orient…) et bien sûr, le cycle violent de remontée des taux d’intérêt. Tous ces facteurs ont chacun contribué à créer un climat très complexe pour le secteur.
L’inflation et le durcissement des conditions de crédit ont fortement pesé sur le pouvoir d’achat des acquéreurs et sur les perspectives des investisseurs. La hausse des coûts et des nouvelles contraintes ont également rendu l’activité des professionnels du secteur plus compliquée.
Finalement, l’année 2023, restera en termes d’évolution comme l’un des pires millésimes depuis la crise des subprimes, voire depuis la fin de l’après-guerre. Dans le résidentiel, les volumes de transaction, de construction, des crédits et le niveau des prix ont tous été impactés de manière négative. Quant à l’immobilier commercial et de bureaux, il a aussi fait face à de nombreux défis, en témoigne la baisse des investissements et les réévaluations à la baisse du patrimoine de nombreuses foncières et SCPI.
Au niveau du logement neuf en 2023, le secteur aura connu une année noire : baisse de 29,2 % des autorisations d’urbanisme, -46,6 % de réservations de logements neufs, -30,6 % du volume des ventes sur un an. Entre hausse de coûts, et nouvelles contraintes environnementales, acheteurs attentistes ou désolvabilisés, le retour au niveau antérieur prendra sans doute un peu de temps. Point positif, les nouvelles contraintes sur les DPE devraient pousser en théorie les acheteurs vers les logements neufs ou rénovés. En pratique, les contraintes budgétaires poussent ces derniers à devoir faire des arbitrages et les primo-accédants sont depuis longtemps exclus du marché de l’achat, a fortiori en zones tendues.
Les conditions actuelles ont par ailleurs découragé de nombreux projets d’acquisition, cette moindre mobilité, combinée à un marché de la construction grippé, ont entraîné ainsi une très forte pression sur le marché locatif et aggravé la pénurie de biens disponibles. L’entrée en vigueur des contraintes de DPE pour la location n’a pas arrangé les choses à court terme de ce côté-là...
Enfin, avec près de 875 000 transactions dans l’ancien pour l’année 2023, selon la FNAIM, on parle d’une baisse annuelle de -25%, ce qui représente “la plus forte chute en volume observée depuis l'après-guerre” et un recul de 7 ans en arrière…
L’année 2023 marquera-t-elle durablement la fin d’un cycle de forte montée des prix alimenté par l’amélioration historique des conditions de crédit et des taux hauts plus bas ?.
En 2023, la baisse des prix aura été de -1,8% (+4,6% en 2022) et Paris aura connu un coup d’arrêt avec un retour sous la barre des 10000 euros/m2 (9644 euros) via une baisse de -5,3%. Une baisse qui a également touché l’Île-de-France à divers degrés.
Ce mouvement touche aussi les grandes métropoles régionales : si Montpellier a conservé un dynamisme positif (+21%) les 10 premières villes ont terminé dans le rouge : Nantes (-8 %), Lyon (-5,9 %), Bordeaux (-4,9 %) et Rennes (-4,3 %). Il faut par ailleurs préciser que cela fait suite à une flambée des prix inédite ces dernières années.
Parmi les bonnes nouvelles, cependant, le prix des maisons dans des zones rurales,aurait progressé de 2,9%. Une des explications tiendrait au fait qu’avec un prix moyen inférieur à 2000 euros au m2 (moyenne nationale 3923 euros), les zones rurales sont moins impactées par le coût du crédit.
Point à noter, les passoires thermiques (c'est-à-dire avec un mauvais DPE) ont été surreprésentées (18% de F et G) dans les transactions (généralement avec un rabais élevé accentuant la baisse générale des prix). Un marché alimenté par des vendeurs ne désirant pas réaliser les travaux nécessaires et des acheteurs constitués d’investisseurs voulant rénover ou des ménages choisissant cette option du fait d’un budget serré.
Concernant le stock de bureaux disponibles en Ile-de-France, il a atteint 4,759 millions de mètres carrés (+10%), un chiffre en hausse constante (il était de 1 million en 2001..). Pour comparaison, la demande placée -à savoir via une location ou vente à l'occupant - a reculé de -17 % en 2023 pour 1,932 million de mètres carrés. La situation est plus enviable à Paris intra-muros, mais reste déséquilibrée globalement. Cela n’inclut pas par ailleurs un stock de biens obsolètes. Les entreprises ont tendance à réduire les surfaces (sous l’influence du télétravail ?) et par ailleurs, la transformation de bureaux en logements n’a jamais vraiment décollé.
Concernant l’investissement en immobilier d’entreprise (bureaux, commerces, locaux d'activité et entrepôts) il se serait élevé en France à 11,6 milliards d'euros en 2023, soit une chute de -57% en un an et un recul au niveau de 2009…
Côté crédit, les montants octroyés se sont effondrés (terminant l’année à environ 50% comparé à une base 100 en 2020). Ce mouvement qui a touché le marché du neuf comme de l’ancien s’est produit dans un contexte inédit de remontée des taux (4,22% de taux moyen en novembre 2023, contre 2,35% en décembre 2022 et près de 1% au plus bas), selon l'Observatoire Crédit Logement/CSA
Cette baisse de volume a fait suite aux relèvements des taux par la BCE et la FED et à la remontée du taux des OAT 10 ans qui impactent les taux immobiliers. Les politiques bilancielles des banques, les critères plus strictes imposés aux banques par le HCSF de l’impact des blocages liés au taux d’usure ont également joué un rôle. Ces deux derniers points ont cependant été partiellement corrigés.
L’année écoulée avait vu la présentation d’un Plan Logement gouvernemental plutôt critiqué et jugé peu à la hauteur des enjeux. En 2024 quels sont les quelques points à garder à l’esprit ?
Il existe de nombreuses niches fiscales en faveur du logement locatif. La location meublée et surtout saisonnière dispose ainsi de plusieurs avantages : abattements de 71% jusqu’à 188 700 euros de loyers, pas de contraintes liées aux plafonnements des loyers ou aux normes de DPE. La loi de Finance 2024 prévoyait de raboter la niche fiscale dit “Airbnb” mais une erreur de procédure a empêché son adoption. Il existe pour l’instant un flou. Quoi qu'il en soit, accusés de détourner des biens du marché locatif classique et de concurrencer les hôtels, les logements saisonniers dans les zones tendues sont mis sous pression.
Dès 2024, le budget 2025 devrait sans doute acter une remise à plat globale de la fiscalité du logement locatif (nu, meublé, saisonnier). Cette question sera d’importance tant le marché locatif est grippé sous l’effet de la sortie temporaire du marché de nombreuses passoires thermiques, d’une moindre mobilité des occupants actuels dans l’impossibilité d’acheter, et d’un stock de nouvelles constructions largement insuffisant.
A la suite de la réforme de l’ISF en 2018, et la création de l’impôt sur fortune immobilière (IFI) les règles de déductibilité des dettes de l’assiette imposable avait été durcit : seules les dettes directement rattachées aux biens détenus en propres étaient déductibles (avec des retraitements pour les dettes in fine). Ce sera désormais également le cas pour les détentions via une société.
Il existe de nombreux dispositifs incitatifs à l’investissement locatif notamment pour l’investissement dans des biens neufs ou à rénover. Le dispositif Pinel était assez emblématique à ce titre. Une estimation l’impliquant dans près de 50% des programmes de VEFA ces dernières années. Pourtant, son rendement et son coût étaient souvent critiqués avec sans doute des effets d’aubaine. Après une refonte via le Pinel+ - et des conditions d’éligibilité plus drastiques - l’année 2024 sera la dernière année pour investir via ce dispositif (sans que celui-ci soit remplacé par un nouveau dispositif).
Pour rappel le PTZ peut être sollicité sous conditions pour un achat neuf, soutenant ainsi la construction (mais participant à l’artificialisation des sols). De ce fait, les maisons neuves avaient été dorénavant exclues du dispositif. Désormais, le « scope » concerne les appartements neufs en zone tendue et plus généralement les logements neufs avec travaux (avec ajout de 210 villes supplémentaires, portant le nombre de communes éligibles à 1350). Les critères de ressources ont été allégés, permettant à 6 millions de personnes supplémentaires d’être désormais éligibles.
Le dispositif d’aides financières MaPrimeRénov’ sera doté de 1,6 milliard d’euros supplémentaires (total de 5 milliards d’euros). Par ailleurs, l’éco-prêt à taux zéro (éco-PTZ) est prolongé jusqu’à 2027 pour financer le reste à charge des travaux.
Le nombre de bénéficiaires sera élargi permettant à 10 millions de personnes d’être éligibles au dispositif. Pour rappel, le bail réel solidaire (BRS) permet sous conditions de ressource d’acheter un bien neuf sans en acquérir le foncier, le terrain étant loué pour un prix modique auprès d’un organisme foncier solidaire (OFS). Par ailleurs, la TVA applicable à l’achat est réduite à 5,5%.
L’année 2024, ne donnera pas lieu à de nouvelles exclusions du marché locatif pour cause de DPE (la prochaine étape étant 2025 avec l’interdiction de location pour les logements de type G).
Cependant, depuis le 1ᵉʳ janvier 2024:
La taxe foncière devrait augmenter d’au minimum 3,9% en raison de la revalorisation forfaitaire des valeurs locatives. Cela sans présager les évolutions des taux des barèmes locaux éventuellement votées au niveau communal.
Concernant les résidences secondaires, la possibilité d’instaurer une surtaxe d’habitation (taxe d’habitation supprimée pour les résidences principales) a été élargie à plus de 2500 communes.
Face à l’effondrement de la production de crédits, au plus bas depuis 7 ans, le gouvernement avait milité pour un assouplissement des règles. Les banques auront désormais un peu plus de marge:
Va-t-on vers un rebond du crédit ? Les anticipations de baisse des taux, le reflux constaté sur le plan de l’inflation, le recul du taux des OAT, et les critères allégés du HSCF plaident pour cela. On pourrait assister à un retour du crédit en 2024 (mouvement déjà légèrement perceptible en fin d’année 2023 semble-t-il). Le retour des transactions lié à un rééquilibrage des prix pourrait accompagner ce mouvement.
Baisse de prix supplémentaires et début de rebond du marché en 2024 ?
Difficile d’avoir une boule de cristal, néanmoins il est possible de partir de plusieurs constats : la demande reste forte en terme de logement, en témoigne le déficit de logement locatif (parfois 25 demandes pour 1 bien) que ce soit dans le secteur privé ou social.
Si l’on a assisté pour la première fois depuis longtemps à un reflux des prix, notamment dans les agglomérations (là où les prix avaient atteint des sommets avec une question du financement cruciale)- au cœur des territoires, les prix n’ont pour l’instant souvent guère varié. A la différence des crises qui avaient suivi la première guerre du Golfe ou la crise des « subprimes » l’on n’a pas encore assisté à un effondrement des prix.
Pour l’instant le marché est plutôt paralysé, ou du moins attentiste, avec des acheteurs au budget contraint (inflation générale, hausse de taux et accès réduit au crédit) et des vendeurs qui - sauf contrainte extrême - rechignent à baisser leur prix.
Les propriétaires de certaines de passoires thermiques sont peu à peu forcés de se rendre à l’évidence et de prendre en compte le prix des travaux nécessaires, mais certains types de biens tels que le segment du luxe ou l’immobilier de loisirs (montagne, littoral) souvent moins impacté par les contraintes de financement ont poursuivi leur marche en avant.
Néanmoins, d’un point de vue général, nombre de transactions sont annulées par manque de financement. Les délais de vente s’allongent et les acheteurs ont souvent été contraints de revoir leurs prétentions dans les conditions actuelles (selon Century 21, la surface moyenne des appartements vendus serait descendue à 57,6 m2 proche du point bas de 2008 de 56 m2)
On a vu récemment des opérations en bloc réalisées par des marchands de biens à Paris intra-muros à 5000 euros/M2 sur des immeubles à rénover. Chose encore impensable il y a peu.
Alors que la hausse des taux - passés en quelques mois de 1,1% à plus de 4% - a amputé le pouvoir d’achat des acheteurs de 20%, le nouvel équilibre n’a pas encore été atteint. On peut penser que la situation ne pourra pas rester éternellement figée. On peut espérer qu’un mouvement sur les taux et les crédits, des délais d’attente devenus trop long ainsi qu’un réajustement des prix supplémentaires permettra de relancer l’activité d'ici à la fin du premier semestre 2024 une fois un nouveau point d’équilibre atteint. Alors que les loyers se maintiennent, voire augmentent, tout recul des prix apporte de nouvelles marges de manœuvre aux investisseurs. Les JO 2024 coïncident-ils avec un redémarrage du marché ?
Publication originale de le 23 January 2024