Il y a deux mois, nous nous étions intéressés à l’évolution de l’aventure de la société Mediapro dans le football. Au-delà d’une illustration des difficultés rencontrées par certains secteurs avec la crise de la Covid-19; celle-ci fournissait un cas intéressant de gestion du risque. De plus, c’est une illustration concrète de certains points d’analyse « business » à prendre en compte avant toute décision d’investissement, ou plus généralement de coopération. Retour sur le dénouement et les conclusions à en tirer.
Le contrat pluriannuel des droits de diffusion TV du football français 2020-2024 est entré en vigueur à l’occasion de la saison en cours du championnat 2020-2021. Ce contrat avait fait l’objet d’un appel d’offre remporté par un acteur émergent la société Mediapro; un groupe audiovisuel espagnol doté d’un actionnaire chinois. L’ensemble des droits de diffusion avait ainsi été remporté moyennant une redevance annuelle de 1,2 milliard d’euros. Ils restent loin des niveaux du Royaume-Uni pour la Premier League. En effet, outre l’intérêt sportif lié à la compétition et à la notoriété internationale, le Royaume-Uni, pays de BT et SkyTV, compte près de 14 millions de foyers (un sur deux) abonnés à une offre de streaming…
Très vite certains points d’alerte sont apparus, beaucoup d’observateurs dénonçant ce qui semblait s’apparenter à une vaste opération de « poker menteur » :
Sur le papier ce nouveau contrat pouvait apparaître comme un coup de maître avec un quasi-doublement de la manne financière audiovisuelle pour l’ensemble des clubs professionnels. Dans la pratique, l’opération s’apparentait plutôt à ce qu’aurait pu faire un bailleur, louant son bien deux fois le prix du marché à un locataire insolvable. Comme redouté, la société Mediapro a rapidement fait défaut sur ses échéances, mettant en difficulté la Ligue Professionnelle de Football qui avait cédé les droits.
Déjà handicapés par une absence de recettes de billetteries liée aux contraintes sanitaires et une suspension des droits TV liés à l’arrêt des compétitions lors du premier confinement, de nombreux clubs se retrouvent désormais en difficulté. Ayant des finances souvent précaires, ils avaient par ailleurs souvent anticipé des dépenses, sur la foi des retombées prévues. La ligue de football a dû d’ailleurs souscrire en urgence plusieurs PGE.
La situation est sans doute le résultat d’un concours de circonstances, mais également d’erreurs d’analyse créant ce que certains ont pu qualifier de « mirage à un milliard d’euros ». Nous avons relevé plusieurs points que nous pourrions mettre en pratique en termes d’étude de cas.
La surévaluation manifeste des redevances et de l’actif a eu plusieurs conséquences. Le niveau exigé rendait quasiment impossible pour l’opérateur l’atteinte de la profitabilité. Le défaut était alors quasi-inévitable et toutes les projections de retombées financières envisagées par le cédant des droits, rapidement caduques. Si le montant de ces droits avait par ailleurs été mis comme sureté pour garantir une dette ; la surévaluation constatée aurait rapidement posé un problème.
Dans son malheur, la ligue professionnelle a pu mettre fin au contrat par voie judiciaire. Elle aurait même récupéré une soulte de 100 M € (ne couvrant pas le manque à gagner depuis le début de la saison) contre un abandon des poursuites. Cependant, il n’existe que peu d’acteurs susceptibles de se positionner. Si Canal+ en position de force faisait une offre, elle sera sans doute à un niveau très inférieur aux montants précédemment envisagés.
Si un créancier avait dû revendre ces droits pour honorer une dette ; la faible liquidité de l’actif pose ici un problème évident pour la valorisation. En cas de nécessité de revendre rapidement un actif peu liquide, la valorisation peut être poussée violemment à la baisse. Ce pourrait également être le cas pour un bien immobilier un peu atypique avec peu d’acheteurs potentiels.
Si ce point reste encore flou, la société Mediapro avait semble-t-il fourni une garantie de sa maison mère chinoise. Dans la pratique il ne s’agissait pas d’une garantie à première demande issue d’un établissement financier. Elle n’a pas pu finalement être mise en jeu et s’est révélé inopérante.
Certes, l’opération aurait pu se révéler fructueuse, auquel cas, la filière du football aurait réalisé une formidable opération. Dans la pratique cependant, la capacité d’exécution semble mal évaluée :
Cela est comparable à la situation d’un marchand de biens qui achèterait un bien locatif ; mais compterait surtout sur une vente partielle « à la découpe », dans un timing très serré et sur des valorisations élevées pour pouvoir équilibrer ses « cash-flows » financiers. Le risque est alors élevé.
L’analyse d’un partenariat, d’une opération de crédit ou d’investissement doit prendre en compte correctement plusieurs scénarios. Notamment afin d’évaluer le risque maximal issu d’un déroulement défavorable. En cas de défaut ou de difficultés ; quelle probabilité de récupérer l’intégralité de ma créance, quel niveau de valorisation des actifs résiduels cela suppose-t-il ?
L’approche pourra par exemple intégrer plusieurs scénarios :
Si les probabilités semblent équilibrées et que même le pire des cas permet une sortie honorable ; le niveau de risque pourra être jugé comme faible et maitrisé. Dans le cas contraire, il vaudra mieux s’abstenir ou bien alors exiger un rendement plus élevé ou des garanties complémentaires.
Dans le cas présent, il semble que se soit produit la conjonction de plusieurs événements plus ou moins prévisibles :
On le voit, même si l’analyse a posteriori est toujours plus simple ; il semble tout de même qu’une approche analytique de base aurait dû éveiller quelques soupçons concernant la société Mediapro, et c’est cela qui a fait défaut. Peut-être aussi à cause d’une pêche qui semblait si miraculeuse — ce qui doit aussi servir d’alerte !
Publication originale de le 30 December 2020 mise à jour le 29 November 2021