Comme beaucoup d’activités liées à l’événementiel, le monde du football a été fortement impacté par la crise sanitaire. Pourtant, après une période d’adaptation, les principales compétitions ont pu reprendre jusqu’à nouvel ordre selon le calendrier prévu. Si l’accès aux stades pour les spectateurs reste très encadré, cela n’impacte pas, a priori, les retransmissions télévisées. On pourrait même objecter que les chaînes de télévision ont désormais une sorte de monopole sur la diffusion des rencontres, ce qui pourrait même être considéré comme un atout supplémentaire (malgré l’absence d’ambiance qui certes nuit un peu au spectacle). Pourtant, l’épisode actuel autour de la chaîne Téléfoot et la société Mediapro, nouveau détenteur des droits de retransmission télévisée du championnat de football français (ligue 1), en grande difficulté pour honorer ses engagements, constitue un cas d’école. Même s’il ne s’agit pas d’un cas de défaut de dette à proprement parler, il nous semble, en tant que prêteur et acteur du crédit, que ce dernier est riche d’enseignements sur la façon d’évaluer la solvabilité d’un tiers et les garde-fous à mettre en place.
L’activité de Mediapro, groupe espagnol à actionnaires chinois, est de négocier et de revendre les droits de diffusion de divers événements internationaux. Dans notre cas, la société s’inscrit plus précisément dans le cadre de l’économie du football, qui a connu une inflation phénoménale en deux décennies. Si le football est un sport depuis longtemps universel, l’arrivée d’investisseurs souverains, la popularité nouvelle en Asie (et en Chine notamment), et la compétition sur les droits TV, ont considérablement augmenté les montants en jeu.
Même si les règles telles que le « fair-play » financier encadrent l’apport d’argent frais par les actionnaires des clubs afin d’essayer de maintenir une certaine « équité sportive », les sommes échangées se comptent désormais en milliards. Au vu des impacts et des risques économiques, les instances du football ont même cherché à modifier le cadre du football, car la « glorieuse incertitude du sport » ne fait pas forcément bon ménage avec un business plan que l’on souhaite prévisible. Nous avions abordé ces points dans notre article intitulé « Football et La coupe du monde, plus qu’un jeu, un enjeu ! » lors de la Coupe du Monde 2020 : modifications du format des compétitions, évolution de règles (augmentation du nombre de remplacements autorisés, utilisation de l’arbitrage vidéo…) avaient pour but d’essayer de gommer les surprises et d’éviter les catastrophes économiques.
Outre le montant des transferts, l’évolution des droits télévisés européens est une illustration de ce phénomène :
À titre de comparaison, le montant annuel des droits anglais n’était que de £250 millions au début des années 90 et de £1,5 milliards en 2007. En ce qui concerne le championnat français, les droits n’ont que récemment dépassé le milliard, mais via une forte hausse.
Les nouveaux droits de retransmission du football français (ligue 1, ligue 2) ont été acquis en 2018 à l’issue d’un processus d’enchères par MediaPro (80%) et BeIN Sport (20%). Mediapro s’est ainsi engagé à verser 820 millions d’euros annuels à la LFP (Ligue de Football Professionnel) à compter de la saison 2020-2021. La LFP représente les clubs professionnels et elle négocie les droits pour leur compte. Elle redistribue les montants selon une clé de répartition permettant d’avantager comparativement les clubs moins médiatiques et de soutenir le football amateur (à la différence de championnats étrangers où la répartition est plus proche de l’audience réelle de chaque club).
Les droits de retransmission sont l’un des quatre piliers de l’économie des clubs professionnels avec la billetterie (actuellement à l’arrêt), les reventes de joueurs, et les produits dérivés. Pour faire une analogie : la LFP se retrouve dans la situation d’un propriétaire qui louerait son bien pour un bail de 4 ans. MediaPro est dans le rôle d’un opérateur qui aurait signé un bail ou une franchise avec une optique de sous-louer, ou de revendre les droits à la découpe.
Les données du problème sont assez simples et plusieurs éléments permettaient d’avoir, a priori, des doutes sur la qualité du « locataire » et la viabilité économique du projet, à savoir de Mediapro et Téléfoot :
La situation de Mediapro et Téléfoot était ainsi particulièrement intéressante avec plusieurs points pouvant déjà alerter :
De même qu’il n’est pas forcément judicieux de prêter à une contrepartie présentant un niveau de risque trop élevé, sous l’argument que le taux de rentabilité obtenu est élevé. La ligue semble avoir été trop gourmande. Le « loyer » demandé n’étant pas forcément en adéquation avec la solvabilité de la contrepartie, et l’actif objet de la transaction sans doute surévalué. La Serie A Italienne avait d’ailleurs rapidement fait machine arrière dans le cadre de son appel d’offre, jugeant au final les garanties de Mediapro insuffisantes.
De fait, les agences de notation S&P et Moody’s avaient déjà réagi dès le début d’année en abaissant à plusieurs reprises la notation de Joye Media (maison mère de Mediapro), la faisant passer récemment en catégorie spéculative : « Caa1 ». Pas sûr que l’actionnaire majoritaire, le chinois Joye Media Hong Kong LTD, pourra jouer son rôle de soutien en dernier ressort.
Mediapro a fait défaut sur sa première échéance de 172 millions d’euros. Face à cet état, la LFP se trouve elle-même dans une situation difficile (comme un propriétaire dont le locataire n’honorerait pas ses loyers). Déjà confrontés à l’arrêt prématuré de la saison précédente, à la disparition des recettes de billetterie, les clubs risquent de se retrouver eux-mêmes à court de cash. La LFP a ainsi dû emprunter 120 millions d’euros (ce qui porterait les montants empruntés à 500 millions d’euros) et puisé dans ses fonds propres pour soutenir l’écosystème.
Face à cette situation, la ligue se trouve face aux 3 alternatives de tout créancier :
Publication originale de le 30 October 2020 mise à jour le 29 November 2021