Business 31 October 2018

Amazon va-t-il tuer le commerce français ? : Partie 1

Amazon va-t-il tuer le commerce français

À la suite de la publication de ses derniers chiffres financiers, et de prévisions de fin d’année jugées mitigées, le géant de l’internet, Amazon, a connu une baisse de 15% de son cours sur le Nasdaq en deux jours. Si cela continue, sa capitalisation pourrait même bientôt représenter moins de… 50 fois la capitalisation boursière de Carrefour. Champion de la « data », du « cloud » et doté d’une machine logistique et marketing sans faille, le champion américain symbolise à lui seul le mouvement de digitalisation de l’économie et son impact sur le commerce. Dans cette bataille, les « retailers » sont en première ligne. Une fois le constat passé, le mouvement semble lancé et incontournable, alors que la digitalisation peut offrir une réponse aux nouvelles attentes des consommateurs. Une réflexion est sans doute à mener sur une convergence des mondes physique et digital ? Les investissements nécessaires seront massifs, et toutes les pistes de financement (traditionnel et alternatif comme le crowdfunding) devront être exploitées.


Amazon va-t-il tuer le commerce français ?

Entrepôt Amazon

Ere digitale, on ne compte plus les impacts sur le retails

Si l’on s’en réfère aux chiffres de la FCA (Fédération du Commerce Coopératif et Associés) : le chiffre d’affaires du commerce associé et de ses 45000 points de vente en France, a représenté toutes enseignes confondues 152Mds d’euros, si l’on ajoute le commerce franchisé et ses 75000 points de vente, l’on obtient un total d’environ 200 milliards d’euros pour 1,2 million d’emplois. Soit tout juste l’équivalent du chiffre d’affaires d’Amazon et de ses quelque 500 000 employés dans le monde. Même si l’augmentation du nombre d’employés est récente chez Amazon, le ratio de main d’œuvre n’est pas complètement décorrélé de celui du commerce traditionnel.

Comptes commerciaux France Insee

Pourtant, alors que le géant de l’internet continue de poster des bonnes performances et désormais des profits, chaque jour semble apporter son lot de nouvelles négatives pour les grands réseaux de distribution : Macy’s qui détient symboliquement le plus grand magasin du monde à New-York a annoncé un plan de réduction de son réseau. En Angleterre, Debenhams créé en 1778 à Londres, a annoncé la fermeture de 50 grands magasins et 4000 suppressions d’emploi. Outre-Atlantique le géant Sears qui avait édifié la « Sears Tower » à Chicago en 1973, à l’époque plus haut bâtiment du monde, vient d’entamer une procédure de chapter 11 (équivalent d’une procédure de sauvegarde). Que dire de la faillite du géant Toys « R » US créé après-guerre et de ses 33 000 employés ? En France, La Grande Récré semble promise au même sort. En effet, quoi de plus simple que de taper « Lego 40260 » sur internet pour obtenir la « Maison Hantée de Halloween » qui sera livrée en 24h ?

En cause le savoir-faire logistique et marketing des géants du web, qui préemptent les transactions avec une profondeur de catalogue et une connaissance client inégalée. Dans l’essai « Who Owns The Future » Jaron Lanier, un vétéran de l’informatique aux États-Unis a montré l’avantage acquis par les GAFA, issue du monde digital, qui ont fondé leur succès sur la maîtrise et la monétisation de la data et du comportement des consommateurs, donnée souvent acquise sans réelle contrepartie.

Dans une tribune récente dans les Échos, « Ne laissons pas Amazon détruire le commerce traditionnel » Bernard Darty, co-fondateur du réseau éponyme s’alarmait de la fermeture prévue « d’un tiers des centres commerciaux américains ». Et d’une concurrence « déloyale » et prédatrice alimentée, voire « subventionnée » par les profits issus du « cloud ». Pourtant en son temps le distributeur n’avait-il pas lui-même contribué avec son « contrat de confiance » à la disparition des indépendants ? Au-delà du constat, la question n’est-elle pas plutôt de s’interroger sur les nouvelles possibilités offertes par le digital ?

Amazon impose de nouveaux défis et de nouvelles opportunités

Réseaux « retail », marques, le défi de la digitalisation est important. Si l’on en croit le dernier classement établi par Young & Rubicam auprès des consommateurs le trio des marques favorites des Français est désormais : Samsung… Google et Amazon.

Au-delà de rajouter simplement un canal digital qui deviendrait le premier point de vente physique d’une marque (au risque de cannibaliser les ventes existantes ?), le débat est plutôt de relever le défi de la relation client. Proposer une expérience client complète (la fameuse « UX »), permettant parfois de toucher de nouvelles cibles est l’un des atouts du digital.

Délaissant une communication de masse, les réseaux sociaux peuvent permettre d’engager le dialogue, de véhiculer un message ciblé, voir une émotion ou une expérience différenciante à l’utilisateur. Selon une étude d’Adobe réalisée avec une université de Londres sur les nouveaux ressorts de la fidélité aux marques plusieurs tendances apparaissent dans ce « nouveau visage de la fidélité » avec des consommateurs toujours plus exigeants:

  • Simplicité, disponibilité et facilité d’utilisation
  • Produits qui reflètent les valeurs personnelles
  • Privilégier une expérience « adaptive » fondée sur les préférences du consommateur, avec une simplicité du parcours client, en multipliant les points de contact numériques ou non numériques. Avec cependant l’exigence d’une certaine transparence sur l’utilisation des données personnelles.
  • Aider le consommateur à faire des choix dans une offre toujours pléthorique, donner la possibilité de mieux connaitre la marque via des avis consommateurs
  • Utiliser l’intelligence artificielle pour simplifier la vie du consommateur, proposer un dialogue personnalisé, voire des expériences immersives

L’époque d’Henri Ford : « Le client peut choisir la couleur de sa voiture, pourvu que ce soit noir » semble bien loin. Alors que le consommateur (« consommacteur ? ») demande toujours plus de transparence sur l’offre, et veut également toujours plus de disponibilité, de personnalisation et d’ergonomie (paiement, livraison…), les marques nées avec le digital (« digital native ») ont une longueur d’avance. Amazon avec ses algorithmes de recommandation et sa logistique huilée est en position de force.

Pourtant tout n’est peut-être pas perdu pour les retailers de l’ancien monde, il existe même des signes de convergence des deux mondes. Les exigences de mutations et de financement seront cependant importantes.

Publication originale de le 31 October 2018 mise à jour le 09 December 2021